Vendredi, 18 Juillet 2008 12:29

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Voici un excellent article de mon ami Michel Cavey. il porte sur l'avenir de la gériatrie et plus particulièrment sur la gériatrie hospitalière.

 

 

Menaces sur la gériatrie hospitalière

lundi 29 octobre 2007, par Michel CAVEY

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GENERALITES

La double problématique de la gériatrie :

La gériatrie est une discipline étrange qui en pratique vise deux types de situation.

Il y a d’abord la gériatrie qui cherche à accompagner le vieillissement : comment en limiter les effets, comment prévenir les maladies, bref comment optimiser l’avancée en âge. C’est celle qui se pose la question de la prévention de l’ostéoporose, de la dénutrition, des accidents vasculaires cérébraux, des insuffisances cardiaque ou respiratoire [1]. Il arrive que ces personnes soient hospitalisées, par exemple pour faire le point d’une situation complexe, pour évaluer une de ces maladies plus ou moins spécifiques du grand âge, ou mettre en place des traitements délicats. Ces hospitalisations se font le plus souvent dans des services de médecine générale, car il existe encore assez peu de services de médecine gériatrique.

Et puis il y a ce qu’on pourrait appeler l’ultra-gériatrie. Il s’agit là de prendre en charge les très vieilles personnes, disons après 80 ans, quand elles tombent malades. Ce genre de situation nécessite une approche très particulière. Car la très vieille personne nécessite des soins à la fois très actifs, très rapides, et limités : beaucoup de situations, même graves, peuvent en effet être guéries, à condition de se donner des moyens énergiques ; mais il faut tout autant garder à l’esprit que l’espérance de vie du malade est limitée et qu’il ne convient pas de lui imposer des stratégies dont il pourrait ne tirer qu’un bénéfice insuffisant. Par exemple il peut être tout à fait légitime d’envoyer un nonagénaire en réanimation, mais à condition de réévaluer rapidement la situation : pour un vieux on se bat exactement comme pour un jeune, mais moins longtemps. Les deux maîtres mots de la gériatrie sont l’agressivité et le réalisme. Autant dire que ces malades demandent une prise en charge extrêmement spécifique, qui s’effectue idéalement dans des services spécifiques.

Quelle est l’importance, numériquement, de la gériatrie ? Tout dépend de la manière dont on pose le problème. Si on considère que dès qu’on parle de vieillissement il faut au minimum des avis gériatriques, alors l’importance est colossale : l’écrasante majorité des malades hospitalisés sont âgés de plus de 60 ans, ce qui signifie que la question de l’avance en âge demande à être prise en compte. Mais si l’on considère l’ultra-gériatrie, alors la situation est sans doute plus mauvaise encore, car ces malades sont très largement hospitalisés en urgence, dans les pires conditions possibles pour eux et pour les professionnels qui les soignent.

Sanitaire et social :

En France la prise en charge des personnes en difficulté dépend de deux systèmes : si la difficulté est liée à une maladie, le sujet est pris en charge par le système de soins ; si elle est liée à un autre problème il est pris en charge par le système social. Naturellement il suffit de dire cela pour prendre conscience d’une évidence : les problèmes sociaux engendrent des maladies, et la maladie engendre des problèmes sociaux. Par exemple le chômage est un grand pourvoyeur de dépressions, et les accidents vasculaires cérébraux engendrent de multiples problèmes de vie sociale. Il n’empêche que le système est ainsi fait : s’agissant des vieux, la maladie est financée par l’Assurance-Maladie, la dépendance par les Conseils Généraux.

Ce n’est pas absurde : car il existe tout de même bien une problématique de la dépendance (financement par exemple des aides à la vie quotidienne), distincte de la problématique de la maladie ; il est donc compréhensible qu’on distingue deux organismes payeurs. À condition toutefois de rester conscient des limites de cette distinction. Considérons par exemple la démence : bien malin qui peut dire ce qui dans le trouble dont souffre le patient mérite d’être appelé symptôme, et ce qui mérite d’être considéré comme une dépendance. Et dans le domaine de la démence, précisément, on voit assez vite qu’il existe des dépenses que le Conseil Général ne paie pas parce qu’il les considère comme relevant du sanitaire, mais que l’Assurance-Maladie ne paie pas parce qu’elle les considère comme relevant du social [2].

Toujours est-il qu’il existe deux domaines, et qu’ils se veulent distincts. Beaucoup pensent qu’on éviterait cette situation et ses dysfonctionnements en créant un « cinquième risque ». Expliquons cela : la Sécurité Sociale a la charge de gérer quatre risques : la maladie, l’accident du travail, la vieillesse et la maternité [3]. Créer un cinquième risque ce serait décider que c’est la Sécurité Sociale qui, moyennant les financements adéquats, prendrait en charge la dépendance.

L’organisation des services hospitaliers :

Le système hospitalier français comporte trois types de services [4] :

Il y a les services de médecine, autrefois appelés « court séjour ». Ce sont des structures qui prennent en charge les malades les plus lourds, ceux dont la vie est le plus en danger, pour leur prodiguer des soins importants, et réaliser des examens techniques sophistiqués. C’est en somme le lieu du diagnostic et du sauvetage. La durée moyenne de séjour est de l’ordre de 4 à 5 jours.

Quand le malade est suffisamment amélioré pour pouvoir quitter le service de médecine, le mieux est qu’il rentre chez lui. Mais s’il ne peut pas le faire, parce que l’amélioration n’est pas suffisante, alors il va dans un service de soins de suite et réadaptation. C’est ce qu’on appelait autrefois les « moyens séjours ». Là on essaie de lui redonner des forces, de le rééduquer, bref de le remettre sur pied. La durée moyenne de séjour est de 25 à 30 jours [5].

A l’issue de son séjour, le malade retourne chez lui. Mais que se passe-t-il s’il n’est pas suffisamment rétabli ?

Dans ce cas le patient, puisqu’il ne peut rentrer chez lui, n’a plus d’autre ressource que d’aller en maison de retraite.

Rappelons d’abord qu’une maison de retraite est un domicile : la personne âgée habite là, c’est son lieu de résidence, elle est en somme locataire de sa chambre. Elle paie son loyer, elle paie d’autres services, et elle paie ses frais médicaux comme n’importe quel assuré social [6].

Disons ensuite que lorsqu’elle entre en maison de retraite la personne âgée sort du système hospitalier pour entrer dans ce qu’on appelle le secteur médico-social. En somme, pour reprendre la discussion du paragraphe précédent, elle n’est plus dans le champ du sanitaire mais dans celui du social. Et il y a trois possibilités :
- La première est que la maison de retraite soit une maison classique. Les choses sont simples.
- La seconde est que la maison de retraite dépende d’un hôpital. Cela arrive, mais alors elle fonctionne malgré tout comme une maison de retraite classique ; le fait qu’elle appartienne à l’hôpital ne change rien.
- La troisième est qu’il s’agisse d’une unité de soins de longue durée (anciennement appelée « service de long séjour »). Là, les choses deviennent un peu plus compliquées. Il y a en effet des malades qui ne peuvent pas rentrer chez eux, mais dont en outre l’état de santé est si mauvais qu’ils ne peuvent pas non plus aller en maison de retraite. Ces malades sont maintenus à l’hôpital, mais dans un service particulier qui a un statut mixte : c’est un service hospitalier, mais c’est aussi le domicile du malade, qui paie son hébergement comme en maison de retraite [7].

Les limites de ces distinctions :

La réforme de la tarification des maisons de retraite aboutit à les transformer en Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes. Cette dénomination correspond bien à la réalité [8]. Et le financement des séjours est coupé en trois sections :
- Une partie hôtellerie, qui est à la charge du résident (ou du Conseil Général si l’aide sociale intervient).
- Une partie dépendance qui est à la charge du résident mais pour laquelle il perçoit l’Allocation Personnalisé d’Autonomie [9].
- Une partie soins, qui fait l’objet d’un forfait attribué à la maison de retraite.

On ne pouvait pas éviter cette tripartition du financement, seule manière de savoir qui fait quoi, qui paie quoi et comment. Mais il n’est pas nécessaire de réfléchir longtemps pour sentir ce que cette tripartition a d’artificiel : dès l’instant où on dit que les personnes âgées vont en EHPAD on dit qu’elles y vont parce qu’elles sont dépendantes ; dans ces conditions c’est toute l’hôtellerie qui est au service de leur dépendance, et la frontière est impossible à tracer. De même si on considère un problème comme l’incontinence, il est impossible de dire ce qui, dans sa prise en charge relève de la maladie et ce qui relève de la dépendance.

Mais d’autre part nous avons dit qu’il existe une différence entre les unités de soins de longue durée et les maisons de retraite. POurtant cette différence n’est qu’une question de degré : de la même manière, on trouve à domicile des malades qui sont à peu près aussi lourdement atteints que des malades hospitalisés. Là aussi, donc les frontières sont impossibles à tracer avec précision.

LA CRISE ACTUELLE

Pourquoi les personnes âgées sont-elles si mal soignées actuellement à l’hôpital ?

La pénurie de gériatres :

La première raison de cet état de choses est facile à trouver : il y a très peu de gériatres en France.

Rappelons tout d’abord que pendant longtemps la gériatrie n’a pas été une spécialité, et c’était une bonne chose : on ne peut pas dire à la fois que le savoir gériatrique est ce que tout médecin devrait savoir et que la gériatrie est une spécialité [10]. C’est sous la pression des instances européennes que la spécialité de gériatrie est en cours de création. Mais du coup il y a actuellement en France entre 500 et 1 000 gériatres reconnus comme spécialistes de gériatrie [11].

La dévalorisation de la gériatrie :

La réforme du financement des hôpitaux est basée sur un principe à la fois très simple et très sain : on a évalué le coût moyen de traitement d’une maladie donnée. Quand le malade sort de l’hôpital les médecins disent pour quoi il a été soigné. En fonction du diagnostic l’Assurance-Maladie alloue au service un forfait correspondant à ce diagnostic. On ne veut plus savoir ce qui a été fait, on ne veut plus savoir combien de temps le malade est resté. Ce principe est sain en termes macro-économiques : il s’agit d’un coût moyen, et il tient compte du fait que pour une même pathologie certains malades resteront plus longtemps, ou consommeront plus de soins. Mais évidemment il est dangereux, car on peut aisément le pervertir : l’intérêt de l’hôpital sera de favoriser les durées de séjour les plus courtes, pour améliorer la rotation des lits ; la tentation sera grande alors de dire que tout séjour qui dépasse la durée moyenne est un séjour trop long, transformant ainsi la durée moyenne en durée maximale... Quant à la gériatrie, elle a toute chance d’être la grande perdante de cette réforme, car la durée de séjour est nécessairement très longue. Il faut du temps pour examiner les malades, du temps pour les laisser s’adapter, du temps pour comprendre ; on soigne mieux quand on remplace la débauche d’examens complémentaires par la patience et l’observation ; le seul outil indispensable pour faire un diagnostic de démence est l’observation répétée, etc. Disons pour faire court que là où un bon service de médecine doit avoir une durée moyenne de séjour de quatre jours, un bon service de médecine aiguë gériatrique est à douze jours. Dans ces conditions les responsables hospitaliers n’ont aucun intérêt à favoriser le travail de la gériatrie.

La prise en charge des personnes âgées :

Dans ces conditions, qu’arrive-t-il à la personne âgée ?

Ne considérons ici que les malades relevant de ce qu’on a appelé plus haut "l’ultra-gériatrie".

Ils arrivent aux Urgences. Et ils arrivent aux Urgences parce qu’il n’y a pas de structures gériatriques au domicile ; il faudrait des réseaux, il faudrait une meilleure formation des médecins traitants, il faudrait des équipes mobiles de gérontologie. Mais pour tout cela il faudrait des gériatres. Le résultat est que les Urgences sont le premier lieu d’accueil de personnes âgées, qui arrivent en situation de grande détresses, avec notamment un grand nombre de démences méconnues qui, un jour, s’effondrent.

Et là, les problèmes commencent. Car la personne âgée n’a rien à faire aux Urgences, et les urgentistes sont souvent mal préparés à cette tâche ; là aussi on améliorerait grandement la situation en organisant une présence gériatrique aux Urgences ; mais il faudrait pour cela des gériatres, et il n’y en a pas.

Du coup, l’urgentiste, qui ne peut garder le malade aux Urgences, l’envoie dans un service de médecine. Et dans le service de médecine, il se passe deux choses :
- La première est qu’il n’y a pas de place. Donc les médecins du service vont tout faire pour se débarrasser du malade, d’autant que le plus souvent le problème pour lequel il a été hospitalisé ne demandait pas d’examens importants, ni de soins techniques lourds.
- La seconde est que le malade s’aggrave. Et il s’aggrave parce que les trois ennemis du vieillard sont la dénutrition, l’immobilité et la désorientation, et que les services de médecine ne sont pas structurés pour limiter ces trois fléaux.

Alors les médecins des services de médecine décident d’envoyer le malade en soins de suite. Mais les services de soins de suite sont surchargés, et il n’y a pas de place. C’est ainsi que le malade stagne en médecine, et continue de s’aggraver.

Le malade finit par arriver en soins de suite. Là on s’aperçoit, car il y a souvent des gériatres dans les services de soins de suite, que le travail gériatrique n’a pas été fait. Il n’a pas été fait, non parce que les confrères de médecine ont été négligents, mais parce qu’ils ne savent pas le faire [12]. Bref le travail du médecin de soins de suite sera de remettre le malade sur pied, mais aussi de tenir lieu de service de médecine aiguë gériatrique.

Le malade progresse, ou il ne progresse pas, mais il finit par arriver au bout des progrès qu’il peut faire. Alors si tout va bien il rentre chez lui ; mais si tout ne va pas bien ? Il faut lui trouver une place en maison de retraite, ou alors en Unité de Soins de Longue Durée.

Et naturellement il n’y a pas de place.

Des inadéquations :

Ce déséquilibre permanent entre les besoins et les disponibilités induit des conséquences en chaîne dont il est difficile de faire la somme.
- Il y a des personnes âgées qui sont à domicile parce qu’elles ne peuvent pas aller, faute de place ou d’argent, en maison de retraite ou en Unité de Soins de Longue Durée.
- Il y a des malades qui relèvent de l’Unité de Soins de Longue Durée et qui ont été adressées, faute de place ailleurs, en maison de retraite.
- Inversement il y a en Unité de Soins de Longue Durée des malades qui auraient leur place en maison de retraite, mais qui se sont adaptés à leur environnement et qui d’ailleurs, ne l’oublions jamais, sont locataires de leur chambre avec un contrat en bonne et due forme.
- Il n’y a pas de place en soins de suite parce que des lits sont encombrés par des malades qui attendent une place en EHPAD ou en USLD.
- Il n’y a pas de place en médecine parce que des lits sont encombrés par des malades qui attendent une place en soins de suite.
- Il n’y a pas de place aux Urgences parce que...

LA MENACE

La situation est donc difficile.

La première condition pour se tirer d’affaire est d’augmenter le nombre de gériatres. C’est sans doute le point le plus difficile, car la spécialité n’est pas réputée attractive, notamment sur le plan de l’image.

La seconde condition est de consentir des règles du jeu spécifiques pour la tarification en médecine gériatrique : il faut que la durée moyenne de séjour d’un malade gériatrique (restera à définir ce qu’on entend par là) soit plus longue que celle d’un malade non gériatrique ; cela peut s’obtenir en modulant l’application de la tarification à l’activité, ou alors en créant davantage de services de médecine aiguë gériatrique.

La troisième condition est d’améliorer la prise en charge en soins de suite, ce qui suppose une meilleure dotation en personnel, une revalorisation des professions (il est devenu quasi impossible de recruter des kinésithérapeutes en gériatrie), une formation spécifique axée sur un prendre soin de qualité.

La quatrième condition est d’améliorer la filière post-hospitalière :
- Augmenter l’offre d’hébergement.
- Mettre en place les structures d’aide à domicile.
- Améliorer la solvabilité des personnes âgées.

Tout cela a un coût. Mais la médecine gériatrique, quand elle fait tout ce qui est nécessaire et rien que cela, n’est pas très dispendieuse. Remarquons d’autre part qu’actuellement le système tel qu’il est géré entraîne des gaspillages importants. Enfin il faut comparer le coût, indiscutable même s’il n’est pas exorbitant, et le bénéfice en termes d’emploi.

Les mesures en cours d’application :

Le problème est qu’actuellement les projets en cours visent surtout à soulager l’Assurance-Maladie. Pour cela la solution la plus simple est évidemment de faire sortir les malades du système sanitaire le plus vite possible ; et pour obtenir ce résultat le plus simple est de jouer sur la différence entre sanitaire et social dont nous avons parlé plus haut. Car quelle que soit la manière dont on procède le fait de sortir le malade du système sanitaire aboutit immédiatement à lui facturer son hébergement [13]. Faire payer l’hébergement d’un malade hospitalisé renvoie évidemment à la situation de ces pays du tiers-monde où la famille doit nourrir et blanchir leur proche admis à l’hôpital du district.

Donc les Pouvoirs Publics consentent ici et là des efforts pour améliorer l’offre de soins gériatriques, mais ces efforts sont très limités, et la stratégie globale est nettement plus simpliste. On pourrait la résumer comme suit : il faut rentabiliser les services de médecine, ce qui permettra de désengorger les Urgences ; pour cela il faut que les malades en sortent vite. C’est une bonne chose, car un malade dont l’état de santé ne requiert plus d’être dans un service de médecine aiguë doit en sortir. Mais il y a deux conditions :
- Les malades gériatriques ne peuvent se soigner aussi vite que les autres.
- Ce n’est pas la technicité des soins qui permet de juger si le malade a sa place en médecine aiguë. Par exemple un sujet âgé a sa place en médecine même s’il ne requiert qu’une surveillance, quand le niveau de surveillance est très étroit, ou quand le danger qu’il court implique les moyens d’une action immédiate.

Pour que les malades sortent rapidement de médecine, il faut des places en soins de suite. On crée des services de soins de suite, mais surtout on essaie d’accroître la pression sur les malades qui y sont. Là non plus ce n’est pas en soi une mauvaise chose : rien n’est plus pesant pour un gériatre que de voir dans son service de soins de suite une forte proportion de malades pour qui il n’y a plus aucune possibilité d’amélioration, en songeant à tous ceux qu’il pourrait aider et que faute de place il ne peut accepter. Mais on voit tout de suite que la seule solution est d’augmenter les moyens des services, et surtout d’améliorer l’offre de soins d’aval [14]. L’amélioration de la situation en soins de suite est en cours, mais de deux manières : d’une part on crée des places de soins de suite, ce qui est probablement une bonne chose [15] ; d’autre part on stimule la création de places d’hébergement, ce qui ne soulèverait aucune objection si cela ne se faisait pas par le biais d’une forte incitation à la privatisation de l’offre.

La casse des longs séjours :

Et c’est là que le pire arrive.

Rappelons que les services de long séjour sont des lieux où on héberge jusqu’à la fin de leur vie des malades dont l’état impose qu’ils vivent dans un environnement hospitalier.

Des décisions ont été prises pour transformer une bonne moitié de l’offre de lits en long séjour en offre de lits de maison de retraite ; cela signifie que la moitié de cette offre de lits va passer du secteur sanitaire au secteur médico-social, ce qui aboutit évidemment à un changement de payeur. Nous reviendrons sur ce point.

La méthode :

Comment fait-on pour parvenir à ce résultat ?

On commence par faire remarquer qu’il n’y a pas une différence considérable entre l’état des résidents d’un service de long séjour et celui des résidents d’une maison de retraite. C’est là un constat ancien, qui pointe une anomalie indiscutable, et à laquelle il faut remédier. Les causes de cette situation sont multiples, citons-en trois :
- L’offre de lits d’hébergement est si faible que les malades sont volontiers envoyés là où il y a de la place, et non là où leur état le demande.
- Quand un malade de long séjour s’améliore il est souvent bien difficile de lui imposer un déménagement.
- La dotation en personnel des longs séjours est si mauvaise que les responsables de ces services sont contraints d’admettre des malades inadéquats à seule fin de soulager leurs équipes.

On cherche à mesurer ces inadéquations. Et cela se fait en créant un outil de mesure nommé PATHOS, qui entend détecter les malades qui ont besoin d’un environnement hospitalier et ceux qui n’en ont pas besoin. Ne nous lançons pas ici dans la critique de l’outil, elle serait pourtant instructive ; contentons-nous de pointer qu’actuellement il se trouve dans la même situation que la grille AGGIR servant à mesurer la dépendance, et qui est utilisée à des fins auxquelles il avait toujours été entendu qu’elle ne servirait pas [16].

On impose à tous les services de long séjour de faire une évaluation PATHOS de leur population. Et on trouve que 50 à 70% des malades de long séjour sont inadéquats et pourraient aller en maison de retraite. Reste donc à imposer le basculement vers les maisons de retraite de 70% des lits de long séjour.

CQFD ?

Peut-être pas.

Les critiques :

Car la stratégie appelle quelques remarques.

La première est évidente : 50 à 70% d’inadéquations est le résultat auquel on s’est toujours attendu. Quand on compare la population des maisons de retraite à celle des services de long séjour, on sait que 70% des malades de long séjour ressemblent à ceux des maisons de retraite. L’outil PATHOS aboutit à donc à une conclusion qu’on connaissait déjà. Et ceci peut s’expliquer de deux manières au moins.
- L’outil PATHOS est un bon outil, fiable, qui donne des résultats conformes à ce qui était attendu.
- L’outil PATHOS n’a été conçu que pour confirmer le résultat qu’on souhaitait confirmer [17].

Que dit-on quand on dit que 70% des malades de long séjour sont similaires à ceux des maisons de retraite ? Deux choses au choix :
- Ou bien on dit qu’il y a des malades de long séjour qui feraient mieux d’aller en maison de retraite.
- Ou bien on dit qu’il y a des malades de maison de retraite qui feraient mieux d’aller en long séjour.

Et rien ne permet là de trancher.

D’abord parce qu’il s’agit là d’une position a priori, qui implique un choix éthique.

Mais bien plus encore parce que pour savoir ce qu’il convient de faire il faudrait avoir une vision exacte de ce qui se passe en maison de retraite. L’évidence est donc qu’il faut aussi réaliser une coupe PATHOS en maison de retraite : il y a des gens qui sont en long séjour et qui devraient aller en maison de retraite (quant à dire si c’est 50%, ou plus, ou moins, c’est une autre question) ; mais il y a sans aucun doute des gens qui sont en maison de retraite et dont la sécurité n’est pas assurée parce qu’il faudrait les mettre en long séjour [18].

Et la coupe PATHOS en maison de retraite n’est pas faite. Deux arguments sont avancés pour justifier cette carence :
- Il faut aller vite. Mais vaut-il mieux aller vite dans un mur, ou lentement sur le chemin ?
- Les médecins de maison de retraite ne sont pas aptes à utiliser PATHOS. Mais s’ils ne sont pas aptes à utiliser PATHOS, est-on vraiment certain qu’ils sont aptes à s’occuper de personnes âgées dépendantes ? On retrouve là le manque criant de gériatres.

Bref on décide de supprimer la moitié des lits de long séjour. On se donne pour cela un instrument de mesure ad hoc. On ne se demande pas quels sont les besoins réels. On se demande encore moins quels seront les besoins à venir. Bref on détruit le système en place. Le mot de tragédie n’est pas trop fort.

Les implications financières :

Certes, dira-t-on. Mais comment ce basculement est-il financé ?

Ce qui nous est annoncé est très attractif : on va en effet renforcer les moyens des maisons de retraite pour leur permettre de prendre en charge des malades lourds. Et même si on diminue leur capacité, on va maintenir les moyens des services de long séjour, de manière à renforcer leur aptitude à s’occuper des malades qui leur restent. L’effort financier est là, il est indéniable et important.

Mais voilà.

D’abord pourquoi voudrait-on renforcer les moyens des maisons de retraite ? Le premier pilier de la construction intellectuelle est celui-ci : il y a des malades de long séjour qui pourraient tout aussi bien être en maison de retraite. Mais s’ils ne sont pas si lourds que cela, pourquoi leur faut-il des moyens supplémentaires ? L’objection n’est pas mince : car, rappelons-le, l’énorme faille est la pénurie de gériatres. Peut-être faut-il insinuer ici que le grand bénéficiaire de ces reconversions va être le secteur privé.

Et c’est le second point. Car, comme nous l’avons dit, la différence entre ce qui relève du sanitaire et ce qui relève du social est très difficile à faire. Il n’y faut pas renoncer, car il y a des impératifs comptables qui imposent un peu de réalisme. Mais cela ne vise et ne peut viser que les grands équilibres. Une fois l’enveloppe attribuée, et même si la tutelle a pris des précautions pour garantir la bonne utilisation des fonds, l’établissement dispose d’une marge de manœuvre, du simple fait qu’il existe une large zone grise où personne ne peut dire exactement ce qui sert à quoi parce que c’est indécidable. L’autre pilier de la construction intellectuelle est qu’il faut distinguer ce qui relève du sanitaire (les longs séjours) et ce qui relève du social (les maisons de retraite) ; mais en décidant le basculement on dit que, tout de même, le social peut bien faire un peu de sanitaire. C’est vrai, mais c’est là que s’opère le transfert de ressources.

Et, last but not least, les gériatres ont parfois un peu de mémoire. On sait parfaitement que cette indiscutable incitation financière a toute chance de ne pas être pérenne. Une fois les malades basculés dans le secteur médico-social (et marchand), une fois l’Assurance-Maladie dégagée de ses responsabilités, que peut-on prévoir ?

UN CRI D’ALARME

Espérons que le lecteur, ayant parcouru quelques pages de ce site, nous fera crédit d’une certaine pondération.

Actuellement la gériatrie est en danger dans toutes ses composantes. Elle l’est parce que la crise financière de la protection sociale est là, et que toute crise atteint toujours les plus faibles.

Il y a dans les organismes de tutelle de nombreux responsables qui essaient de sauver ce qui peut l’être. Il y a chez les gériatres de nombreux médecins qui essaient de penser un système qui sauverait l’essentiel. Il n’empêche que les exemples se multiplient de situations où on menace de supprimer 70% de lits de long séjour dans des services où, pourtant, la coupe PATHOS elle-même donnait d’autres résultats : la volonté politique est là évidente.

Tout cela n’est pas raisonnable.

Les lacunes du système actuel sont évidentes, et il faut y remédier.

Mais croit-on sérieusement que l’explosion de la démographie des vieux peut être envisagée sans un effort de réflexion et d’analyse au moins aussi important que celui qu’on vient de consentir sur l’environnement et l’écologie ?

Notes

[1] Voir sur ce point « Qu’est-ce que vieillir ? ».

[2] Soyons juste cependant : les deux organismes ont davantage le souci de coopérer que celui de se renvoyer les problèmes.

[3] Ne nous demandons pas ici en quoi la maternité est un risque, il le faudrait pourtant.

[4] Délibérément nous ne parlerons pas ici de la réforme hospitalière en cours, qui programme la disparition des services et leur remplacement par des pôles ; nous négligerons également les structures d’hôpital de jour, de consultation externe etc....

[5] Contrairement à ce qu’on pense souvent elle n’est pas limitée : le séjour est simplement subordonné à l’accord de la Caisse d’Assurance-Maladie, mais cet accord peut être renouvelé autant de fois que nécessaire.

[6] En maison de retraite cependant il existe des dépenses qui sont couvertes par un forfait quotidien, mais laissons cela pour le moment.

[7] C’est notamment ce qui y rend un peu difficile l’application de la loi contre le tabagisme.

[8] À ceci près qu’elle entérine un fait de société : désormais on ne choisit plus d’aller en maison de retraite, on n’y va que contraint par la dépendance. On ferait bien d’en peser les conséquences.

[9] Le fait que dans ce cas l’APA est versée directement à la maison de retraite ne change pas la construction.

[10] La même remarque vaut pour les soins palliatifs.

[11] Les autres sont titulaires d’un Diplôme Universitaire ou d’une Capacité, ce qui est d’ailleurs largement suffisant pour faire de la bonne gériatrie, mais ce n’est pas le propos ; par ailleurs même si on compte tous les capacitaires, le nombre de gériatres reste encore très insuffisant.

[12] Le cas d’école est la fracture du col du fémur : les chirurgiens l’ont magnifiquement réparée, mais ils n’ont pas les connaissances nécessaires pour se demander ce qui a fait que le malade est tombé ; question pourtant capitale si on veut éviter la fracture de l’autre col du fémur...

[13] Certes le forfait hospitalier conduit le malade à payer une partie de ses frais d’hébergement ; mais il y a loin des €16 du forfait aux € 50 à 70 d’un hébergement en maison de retraite.

[14] Rappelons qu’au début des années 2 000 il avait été proposé de créer une nouvelle entité : les soins de suite prolongés, dans lesquels le sujet serait basculé quasi automatiquement au bout de deux mois de séjour ; la différence avec le système actuel aurait été que dans les soins de suite prolongés le malade payait son hébergement...

[15] On dit « probablement » parce que le plus urgent serait plutôt d’améliorer les possibilités de l’existant.

[16] Et notons à nouveau la dichotomie : PATHOS pour le sanitaire, AGGIR pour le social.

[17] Ceci n’implique aucune malignité de la part de ses concepteurs : simplement une fois l’outil créé il faut l’étalonner, c’est-à-dire définir des critères, et c’est là que la subjectivité devient incontournable : ce qui dit si j’ai de la fièvre, ce n’est pas le thermomètre, c’est le niveau à partir duquel je dis qu’il y a de la fièvre.

[18] Ne parlons même pas de ceux qui sont à domicile en grand danger, simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer le long séjour.

Lu 11506 fois Dernière modification le Mercredi, 08 Décembre 2010 11:08
Pascal Pozzi

Né le 12/05/1950

  • 1979 diplôme de docteur en médecine de la faculté de St Etienne Loire après un premier cycle effectué à Paris
  • 1994/1997 Capacité nationale de gériatrie
  • 1995/ 1996 DU de soins palliatifs Grenoble
  • 1979/1997 médecine générale rurale dans la Loire où j'ai occupé le poste de médecin à la maison de retraite (60 lits) et participé à la transformation de l'hospice en maison de retraite.
  • 1997/ 2002 direction en association avec ma femme d'un hôtel restaurant d'affaire de 48 chambres avec restauration, organisation de séminaires et réceptions. Ma fonction principale a été la gestion du personnel de restauration.
  • Cessation de l'activité hôtelière pour raison de santé de ma femme en 2002.

Depuis 2002, je suis  médecin coordonnateur à temps plein d'un très gros EHPAD de 450 lits dans la Loire (www.mrl-42.fr). Je suis le plus proche collaborateur de la direction (qui a changé 4 fois en 4 ans!!) et j'ai participé à:

J'ai participé activement à la mise en place de la convention tripartite en 2004/2005, puis la finalisation du projet d'établissement 2008/2012, la normalisation des dossiers médicaux et de soins, puis de l'informatisation de ceux-ci en cours de développement (logiciel PSI de ASC2I codage PMSI possible).

Site internet : www.geriapoz.com

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